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Introduction

Danser seul(e)s : la jeunesse entre individualisation, individualisme, singularité, auto-entrepreneuriat et nouvelles formes de sociation

Enzo Colombo et Paola Rebughini

Texte intégral

Introduction

1Il n’est pas toujours évident de comprendre de quoi on parle quand nous utilisons des notions comme individualisme, individualisation, singularisation, self-management bien que sur ces questions nous disposions d’une littérature de recherche importante qui s’est développée surtout après la fin de la société industrielle, quand ces processus caractéristiques de la modernité n’ont fait qu’accélérer. Mondialisation et néo-libéralisme, consommation de masse et fin de l’État providence, sont le plus souvent cités comme les conditions structurelles dans lesquelles les facettes multiples de l’individualisation, comme processus historique, ont pris forme. Cependant, cette littérature ne tient pas toujours compte des phénomènes plus récents comme la succession des crises économique, pandémique et géopolitique de la dernière décennie qui ont changé le scenario et accentué la sensation d’incertitude et d’instabilité, surtout parmi les jeunes générations.

2La génération Z, représentée par ceux qui sont nés à la fin du XXe siècle, s’est trouvée au milieu des conséquences socio-économique de crises multiples qui ont frappé ces cohortes des jeunes pendant leur formation scolaire – en relation surtout aux effets de la pandémie – ou dans la période de leur insertion dans le monde du travail, dans ce cas pour les effets de la crise économique commencée autour de 2008 et jamais vraiment terminée. Pour cette raison, ceux qui ont moins de 25-30 ans aujourd’hui peuvent être considérés comme une sorte de génération exposée aux accélérations continues du changement social et surtout à une configuration spécifique d’inégalités et incertitudes, une condition souvent acceptée et acquise d’avance dans leur expérience quotidienne.

3Les phénomènes d’individualisation, singularisation, auto-entrepreneuriat – analysés dans ce numéro - sont profondément imbriqués avec les changements provoqués par ces crises successives, qui ont aussi transformé notre idée de mondialisation comme hyper-connexion des événements et des leurs conséquences systémiques. Ce contexte a également favorisé dans la jeunesse contemporaine la transformation des idées de présent et de futur, d’appartenance et de citoyenneté, d’individu et de communauté, d’action collective et de participation politique.

4Dans ce numéro de Sciences et actions sociales, nous proposons de réfléchir autour d’une nouvelle expérience générationnelle, où chacun(e) doit apprendre à « danser seul(e) » avec la sensation de ne pas pouvoir s’appuyer sur les modèles, conceptualisations, langages, références et certitudes de la génération des parents et grands-parents pour faire face à l’expérience quotidienne de l’individualisation dans une incertitude toujours plus marquée. Métaphoriquement, les pas de danse à apprendre sont toujours nouveaux face à l’accélération du changement technologique, environnemental, sociétal, avec ses conséquences en termes de relations interpersonnelles, parcours éducatifs et professionnels.

5Les articles de ce numéro montrent que la génération née entre les deux siècles vit au milieu de tensions opposées. D’une part, l’individualisation s’exprime encore comme une forme d’individualisme, qui tente de trouver des solutions individuelles et maximiser les résultats, avec la conviction que les critères de justice sont d’abord méritocratiques et que la solution à la précarité est le self-management ; d’autre part, l’individualisation s’exprime, au contraire, comme une recherche d’autonomie critique envers l’individualisme, à la recherche de nouvelles formes de coopération, de collaboration et de mutualisme où le partage des vécus et des émotions est aussi fondamental. Dans ce cas, le « soi-entrepreneur » est substitué par un « soi-coopératif » qui ne renonce pas à la reconnaissance de l’unicité et de l’autonomie.

6Cette section monographique se compose de six articles. Le premier propose une cartographie conceptuelle de la question de l’individualisation et des notions associées, comme la singularité, l’individualisme, l’autonomie, l’auto-entrepreneuriat, la gouvernance de soi. Cela nous semble nécessaire face à l’usage souvent inapproprié et interchangeable de ces notions, surtout dans le langage quotidien. Ainsi, le but est de clarifier le débat autour de l’individualisation et de montrer les liens entre l’évolution historique de cette discussion et les transformations sociales récentes, en particulier de la dernière décennie, caractérisées par une concaténation accélérée de crises : économique, pandémique, géopolitique. Après cette introduction analytique, et après avoir clarifié la signification des notions utilisées, les articles suivants explorent la question de l’individualisation dans plusieurs contextes sociaux, par des terrains et des approches des recherches différents, ainsi que différentes perspectives comme les conséquences du confinement dû à la pandémie, ou l’impact des médias numériques sur les processus d’individualisation.

7Le deuxième article explore alors le thème de l’individualisation dans la profession des acteurs de théâtre, c’est-à-dire un milieu où la dynamique entre individualisation, individualisme et coopération joue un rôle fondamental sur l’arrière-plan d’une incertitude professionnelle tenue pour acquise. La recherche se focalise sur les effets provoqués par la pandémie sur l’activité théâtrale et sur les réactions des acteurs dans ce moment de crise professionnelle, réactions à la fois individualistes et coopératives.

8Le troisième article propose une analyse de la vie des jeunes siciliens pendant le confinement pandémique, avec une attention particulière au changement de leur socialité et à leurs réactions émotionnelles. Dans une région caractérisée par un taux de chômage juvénile parmi les plus élevés d’Europe, les effets de la pandémie sur les processus structurels comme l’auto-entrepreneuriat et l’attitude à gérer individuellement les difficultés ont eu un impact considérable sur la vie quotidienne de ces jeunes. Pourtant, l’article explore surtout le côté émotionnel de la dynamique entre individualisme et coopération des processus d’individualisation, avec une attention particulière pour l’ambiance familiale et les origines sociales des interviewé(e)s.

9L’article suivant explore le thème de l’individualisation et des articulations entre individualisme et coopération dans les quartiers populaires de Porto Alegre. Comme dans l’article précédent, l’aspect émotionnel est pris en compte dans l’analyse des expériences des jeunes, avec une focalisation spécifique sur l’approche de la singularisation et des épreuves proposée par Danilo Martuccelli.

10Le cinquième texte analyse l’expérience de l’individualisation chez les jeunes étudiants Erasmus. Le plus souvent il s’agit de jeunes confrontés à la première expérience de longue durée seuls à l’étranger et donc d’une mise à l’épreuve de leur aptitude à gérer l’autonomie et les capacités individuelles. L’article aborde ce thème à travers un terrain de recherche à Paris, avec en arrière-plan des changements historiques, comme celui de l’incertitude et de la précarité, qui vont bien au-delà des cas nationaux spécifiques.

11Enfin le dernier article complète l’analyse avec une focalisation sur la question de l’individualisation comme individualisme dans la communication numérique chez les jeunes malgaches. Ce regard spécifique dans une société non-occidentale est très utile pour comprendre l’extension culturelle de la culture du self-management, mais surtout les capacités de résistance symbolique qui peuvent se développer à travers les formes de communication, par exemple l’ironie et la dérision du modèle hégémonique proposé.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Enzo Colombo et Paola Rebughini, « Danser seul(e)s : la jeunesse entre individualisation, individualisme, singularité, auto-entrepreneuriat et nouvelles formes de sociation »Sciences et actions sociales [En ligne], 18 | 2022, mis en ligne le 30 septembre 2022, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/sas/2440

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Auteurs

Enzo Colombo

Université de Milan

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Paola Rebughini

Université de Milan
paola.rebughini@unimi.it

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